Associations
et argent:
Le milieu du roller se rentre dedans
Mai 2001 |
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Paris, capitale mondiale
du roller. Trois à vingt mille patineurs pour des randonnées
de loisir, l'enjeu peut, il est vrai, donner le tournis. Et s'accusant
mutuellement d'en tirer profit, brandissant chacune leur éthique,
les deux grandes associations organisatrices s'affrontaient à
" forum ouvert " depuis janvier 2001. Au cur
du malaise : une reprise en main de l'une par l'autre, qualifiée
d' " OPA " par ses adversaires et prévue pour
le 24 mars. |
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Ce jour-là était très attendu du petit
monde souterrain du roller loisir parisien. Souterrain, car c'est
une infime partie des participants aux célèbres
randonnées à rollers qui adhère aux associations
ou qui gère directement ces randonnées. Le commun
des patineurs, lui, était bien loin de se douter, ou de
se soucier, de toutes les polémiques que ses rendez-vous
du vendredi soir, place d'Italie, et du dimanche après-midi,
place de la Bastille, suscitaient chez ceux qui s'intéressent
de près ou de loin aux conditions de leurs rassemblements
de masse.
" Ce n'est même pas nous qui souhaitions créer
une association au départ, rappelle Boris Belohlavek,
président de l'association Pari-Roller. Chacun roulait
dans son coin, pour son plaisir, et puis un groupe a commencé
à se former. On était une vingtaine et on s'est
donné rendez-vous pour d'autres randonnées "
sauvages ". Jusqu'au jour où on est devenus trop
nombreux pour pouvoir patiner ensemble en toute sécurité,
sans encadrement, et où la Mairie de Paris a demandé
à ce qu'on se constitue en association, pour avoir des
interlocuteurs officiels. Les gens de la Préfecture de
Police sont arrivés et ont demandé : quel est votre
responsable ? Il n'y en avait pas vraiment, mais le groupe s'est
tourné vers moi. " Et depuis le 24 février
1998, Pari-Roller organise chaque vendredi soir, dans la mesure
où le temps est sec, sa " Friday Night Fever "
où des hordes de patineurs joyeux dévalent quelque
30 kilomètres de bitume, en trois heures, à une
vitesse de 25 à 30 km/h.
Mais ce jour-là, samedi 24 mars 2001, dans les coulisses
du roller, on n'a guère prévu de s'amuser. Deux
mois après Pari-Roller (PR), l'association Rollers &
Coquillages (R&C) convoque son assemblée générale,
avec un ordre du jour qui s'annonce houleux : l'élection
du nouveau bureau. En effet, les deux équipes administratives
en lice se font la tête. D'un côté, l'équipe
proposée par Olivier Guérin, co-fondateur il y
a trois ans de R&C, ancien président puis président
par intérim. De l'autre, l'équipe dont Boris Belohlavek
a annoncé la constitution lors de l'assemblée générale
de PR, le 27 janvier 2001. Depuis cette date, rien ne va plus
et les forums de discussion s'emballent, sur les sites internet
des deux associations.
" Qui est apte aujourd'hui à protéger la
randonnée du dimanche ? " Boris Belohlavek, président
de Pari Roller
Frédéric Legouen, " staffeur " (membre
de l'encadrement) chez R&C et PR, tient à mettre de
l'eau dans le vin des plus emportés : " C'est une
histoire de conflit entre personnes qui touche à l'affect.
Et les forums n'arrangent rien car les gens s'y lâchent
un peu ". Olivier Guérin a même eu à
déplorer des menaces de mort proférées par
un staffeur de R&C à l'encontre du webmestre de PR.
Il l'a immédiatement exclu. Chez les staffeurs, l'animosité
semble vive puisque certains s'estiment lésés.
Ils donnent de leur temps, de leur énergie et de leur
patience pour canaliser la foule roulante, aux côtés
des brigades à rollers. Bénévoles, d'aucuns
ne supportent pas la rumeur selon laquelle de l'argent passerait
dans leur dos. Et on a pu lire, tout le long du mois de février
2001 les mots de " mensonge ", " démagogie
", " manipulation ", " calomnie ", "
fautes de gestion ", " partenariats, sponsoring et
opérations commerciales ". Avec, toujours en bout
de course : " l'essentiel, c'est l'adhérent "
et ce pour quoi il paie sa cotisation. Un certain Stef, staffeur,
répond le 5 mars, sur le forum de PR : " Les adhérents
dont vous vous targuez tous d'être les ardents défenseurs
ne sont pas dupes. [Certains] se foutent de savoir que je ramène
chez moi deux fois plus de boisson qu'eux, que j'ai une réduction
plus importante dans les magasins, ils trouvent même cela
normal " Et aux accusations de " tentative de putsch
" ou " d'OPA " de PR sur R&C en vue des élections
du bureau, le président de PR répond sur le forum
que " la question est de savoir qui est apte aujourd'hui
à protéger la randonnée du dimanche et à
rester garant de la liberté des patineurs [vis-à-vis
de l'envahissement publicitaire associé aux produits proposés
gratuitement sur les randonnées, ainsi que du tractage
sauvage parmi la foule, ndla]. (...) De plus, nous avons soumis
cette proposition de candidature à nos adhérents
(dont une partie est commune à R&C) et elle a été
validée. "
" Tout simplement, Pari-Roller ne doit pas prendre Rollers
& Coquillages ", insiste Jean-Jérôme, qui
a quitté le conseil d'administration de PR un an plus
tôt, suite à des divergences d'opinion, et qui vit
désormais de son sport. " Il ne faut pas qu'il y
ait d'amalgame. PR est déjà une structure imposante,
avec une pratique expérimentée du roller, tandis
que R&C s'adresse aux débutants et organise donc des
randos moins rapides. Il faut maintenir le pluralisme, sinon
il risque bientôt de ne plus y avoir rien d'adapté
aux uns et aux autres. Et puis pourquoi récupérer
les randos des boutiques ? "
Rollers & Coquillages a été créée
par Olivier Guérin et Olivier Husson, patron de la boutique
Nomades qui vend et loue des articles de glisse, boulevard Bourdon,
face à la Place de la Bastille. Cette même place
d'où partent les randonnées du dimanche, et autour
de laquelle gravitent nombre de boutiques du même type.
Au fond de Nomades se trouve le point de ralliement de R&C.
Mais Olivier Guérin se défend d'avoir " aucune
participation active dans Nomades. D'ailleurs Olivier Husson
ne tire aucun bénéfice de la situation non plus.
Il nous héberge gratuitement, parce qu'il faut bien aussi
que les gens sachent où nous trouver et où se retrouver
avant le départ de la rando. " Et de mentionner,
pour preuve du désintéressement et, au contraire,
de l'amour du roller de son ami, le Roller City 98 pour lequel
l'association avait besoin d'une sono : " Nomades a payé
la sono à GCO sans que le nom de la boutique apparaisse
en contrepartie. "
GCO, le nom qui déchaîne les passions. Boris Belohlavek
a annoncé publiquement sa participation au capital de
Global Change Organisation (GCO), une société d'événementiel,
le 27 janvier. A l'origine des reproches des adhérents,
cette nouvelle qui n'arrive que sept mois après la première
opération de partenariat (ponctuel) commercial avec Pari-Roller,
gérée par la SARL créée le 29 novembre
1999. " François Dolet [PDG de GCO] et moi, nous
nous sommes connus sur la Techno Parade, raconte posément
Boris. GCO a été association pendant trois ans
avant de changer de statut C'est alors que François m'a
proposé une participation. Quand le travail de partenariat
est devenu trop lourd pour PR, les 19 membres du Bureau et du
Conseil d'Administration ont décidé de tout confier
à une seule société en qui on puisse avoir
confiance. Le fait que j'en sois actionnaire à hauteur
de 20% me permettait de contrôler les limites entre partenariat
et sponsoring à ne pas franchir pour l'association ".
Avant juin 2000, GCO n'avait rien effectué, donc il n'y
avait pas d'ambiguïté. Mais la société
a pris peu à peu de l'importance et Boris assure avoir
engagé des discussions depuis l'automne. Mais la nouvelle
a fait l'effet d'une bombe et, sous cette pression, il annonce,
le 5 mars sur le forum de discussion, avoir revendu ses parts
à ses quatre autres associés en ne restant actionnaire
qu'à 1%, pour conserver son droit de regard. " Mais
qu'on se rassure, prévient-il en devançant les
questions, je n'ai jamais tiré profit de ma situation,
tout simplement parce que les bénéfices étaient
nuls et ne m'allouaient aucun dividende, plutôt des risques.
C'était déjà bien de rentrer dans ses frais.
"
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Gestion hasardeuse de Rollers & Coquillages
En dehors de Pari-Roller, Boris est informaticien, ce qui
le protège : " Je n'ai pas besoin de me faire des
sous avec l'association. Ceux qui veulent vivre de leur passion
dérapent. Il faut bien comprendre que le but de Pari-Roller,
c'est de catalyser ce qui se passe, non de faire de la publicité
pour amener des gens sur les randos. " Sur ce point, ils
s'entendaient, avec Olivier Guérin, sur le principe de
promouvoir le roller loisir. Ils géraient même des
adhérents communs pour leur éviter le coût
de deux cotisations. Seulement, un an plus tôt, PR a voulu
arrêter cette coopération, au vu d'une gestion qui
s'est révélée hasardeuse après un
changement d'équipe à la tête de R&C.
Ne pouvant plus s'en occuper, Olivier Guérin avait cédé
la présidence à José Duarte, avant de la
reprendre, par intérim, au mois de janvier 2001. Celui-ci
et Isabelle Roux, secrétaire générale ne
se sont sans doute pas montrés assez disponibles et ont
égaré des chèques d'adhésions. Et
lors d'un accident survenu le 8 octobre 2000, Olivier a découvert
des staffeurs sans adhésion ni assurance.
" Je connais même quelqu'un qui s'est trouvé
dans la liste des adhérents alors qu'il prétendait
n'avoir jamais versé de cotisation ", précise
Jean-Jérôme. De là à accuser les associations
de gonfler le nombre de leurs adhérents pour avoir plus
de poids, il n'y aurait qu'un pas. Mais cela ne serait d'aucun
effet sur les pouvoirs publics ou la Fédération
française de roller-skating, puisque PR comme R&C
ne sollicitent aucune subvention. Les deux vivent sur leurs fonds
propres, ce qui engendre des conflits d' " éthique
".
Du côté de R&C, on est fier d'évaluer
à 95% des ressources les cotisations de 170 adhérents,
à raison de 120 francs fixes et de 44 francs pour l'assurance,
par personne. Les dépenses résident dans les T-shirts,
l'équipement du " staff " d'encadrement, et
les talkies-walkies sont obtenus par partenariat. Les autres
partenariats sont conclus avec la Préfecture et l'Ordre
de Malte, pour l'assistance médicale.
Des frais spécifiques qui amènent Pari Roller
à brasser beaucoup plus d'argent
Du côté de PR, Boris Belohlavek doute que le
système de R&C puisse tenir longtemps. " C'est
trop instable, trop risqué de ne compter que sur les adhérents.
En cas de coup dur, il faut pouvoir sortir l'argent. La protection
civile, il faut la payer à chaque présence qu'elle
assure. C'est pour cela qu'on n'a pas voulu, à PR, faire
peser toutes ces charges sur les adhérents. " Selon
la saison, Pari-Roller, par le biais de Global Change Organisation,
négocie ses partenariats avec des marques d'alimentaire
14 à 22 000 francs la soirée. Ces marques fournissent
alors de quoi distribuer gratuitement sur les randonnées,
pour apaiser soif et fringales. Avec 37% de ses activités
dédiées au roller, GCO domicilie l'argent gagné
pour PR, à qui revient la charge locative du camion jaune
présent chaque vendredi en guise de point de ralliement.
Coût : 4300 francs par soir. Mais il est indemne de banderoles.
Dans le bilan financier de PR, tout n'est pas précis.
Pour exemple, les adhésions : hormis celles communes aux
deux associations, on ne peut déduire le nombre d'adhérents
de la somme des " adhésions seules " (48 168
F), puisque le tarif est dégressif, de 120 F au premier
trimestre à 60 F au dernier, l'adhésion se faisant
pour l'année en cours, non pour une durée d'un
an. En outre, 150 F peut sembler cher pour un T-shirt. "
C'est le coût des bandes réfléchissantes,
précise Boris. Les gens de R&C oublient que nous avons
besoin d'équipement spécifique aux conditions nocturnes
qu'eux ne connaissent pas. En plus, ils n'ont pas de frais de
local, pas de gestion des stocks, pas de frais de camion. Les
adhésions représentent pour nous 25% seulement
des recettes. En plus, on a un passif de 70 000 F. " Si
Boris critique la position de " sauveur " dont Olivier
donne l'impression, il ne demande que ce " qu'ils prouvent
qu'ils peuvent avancer sans partenariats ".
Boris Belohlavek avait de grands projets de changement pour Rollers
& Coquillages, s'il avait été élu le
24 mars : sortir l'association de la boutique Nomades, sortir
la rando de la Place de la Bastille, à l'instar de la
Place d'Italie qui n'est cernée par aucun magasin intéressé,
faire le ménage dans les comptes et la méthode
de gestion. Il se croyait épaulé par le fait d'avoir
vaillamment résisté l'été précédent
au premier projet d'arrêté préfectoral ne
stipulant que quatre parcours fixes dans Paris. Il avait ensuite
négocié un brevet de sécurité routière,
une formation gratuite dispensée par la Préfecture
pour les staffeurs-signaleurs non titulaires du code de la route.
Il espérait surtout dans l'aide que l'équipe de
PR avait apportée à R&C dans les moments de
crise.
Mais à la suite du vote du 24 mars, l'équipe de
Olivier Guérin a été maintenue à
la tête des randonnées du dimanche. Boris a souhaité
bonne chance et bon courage à la nouvelle équipe,
" qu'elle se montre digne de la confiance que les adhérents
lui ont témoigné, car nous savons la difficulté
de la tâche à accomplir ". Depuis, les forums
se sont calmés. Mais les associations arriveront-elles
à travailler main dans la main pour le Paris-Versailles
du 13 mai, un événement qu'elles doivent gérer
en commun avec la problématique GCO ?
Lucile RICHARDOT
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